En 2011, l’auteur lyonnais Walid Nazim publie un livre très documenté « l’énigme des arêtes de poisson » (350 pages). Jusqu’à cette date, ces mystérieux réseaux souterrains passaient relativement inaperçus auprès du grand public. Seuls les services métropolitains chargés de l’entretien de ces galeries souterraines découvertes dans les années 1960, quelques cataphiles et, à partir des années 2000, les archéologues s’y intéressaient.
Walid Nazim est venu combler une importante lacune dans la littérature lyonnaise consacrée aux lieux et mystères lyonnais. Ces souterrains n’avaient jusqu’alors pas fait l’objet d’une publication majeure. Parmi les ouvrages récents, citons « les Souterrains de Lyon » de Christian Barbier contenant quelques passages et une première représentation cartographique. Christian Barbier soulignait, dès 1994, l’absence d’études historique ou archéologique, malgré l’ampleur du réseau souterrain.
Pour des raisons de sécurité, les souterrains lyonnais, ces res nullius (choses appartenant à personne) sont systématiquement explorés, et souvent confortés, par les services techniques métropolitains. Bien évidemment, la préservation historique ne figure pas parmi ces missions, et ce d’autant plus lorsque l’ouvrage enterré menace de s’effondrer.
L’éboulement de cavités souterraines peut provoquer en surface des fissures dans la chaussée voire des fontis (dépression sous forme de cratère plus ou moins prononcé au niveau du sol). Mais en présence d’eau ou lorsque les désordres s’accumulent sous la terre, les conséquences peuvent parfois en être désastreuses. Dans le secteur des Arêtes de Poisson, des éboulements eurent ainsi lieu place Bodin Magneval.
Grâce à la législation récente en matière d’archéologie préventive des recherches publiques furent enfin menées. En effet, le creusement du tube mode doux du tunnel de la Croix-Rousse est venu intercepter une partie des galeries, impliquant de mieux connaitre ces souterrains. Si les Arêtes de Poisson sont reconnues et confortées depuis les années 1960, les recherches historiques approfondies ne démarrèrent donc que dans les années 2000. Ces recherches furent menées par le service archéologique municipal de Lyon.
La description détaillée des Arêtes de Poisson
Le livre de Walid Nazim décrit en détail ces ouvrages souterrains présentant des particularités multiples et étonnantes, parmi lesquelles :
- Une galerie centrale, la colonne vertébrale supérieure, descendant par tronçons successifs depuis le haut des pentes de la Croix-Rousse jusqu’au niveau du Rhône,
- De nombreuses galeries perpendiculaire se raccordant à la colonne vertébrale, supérieure, les arêtes proprement dites, d’une largeur peu commune pour des souterrains,
- Une étrange galerie inférieure, plus profonde, doublant la colonne vertébrale supérieure sur tout son parcours. L’ensemble communique par des puits repartis régulièrement, dont certains avec la surface,
- Le réseau des arêtes est relié à un autre réseau qui semble contemporain, formé de galeries parallèles et de salles souterraines, le réseau des Fantasques sensiblement sous le plateau de la Croix-Rousse, dont la prolongation en direction du plateau n’est pas connue,
- Enfin sous le niveau du Rhône, l’aboutissement exact du réseau des arêtes n’est pas connu. L’auteur suppose un possible raccordement avec un autre réseau dont certaines portions ont été reconnues au pied des balmes de la côtière vers Neyron et Miribel, les Sarrasinieres, un ouvrage enterré lui aussi énigmatique et méconnu…
L’auteur Walid Nazim présente son livre sous la forme d’une enquête et d’un gigantesque puzzle dont il essaie d’assembler les pièces pour les rendre cohérentes. Dans ce livre, j’ai apprécié le côté descriptif des Arêtes de Poisson très détaillé. Le côté historique se base parfois sur la documentation des archives (découvertes des arêtes, percement des galeries proches par les Collinettes…), dont la synthèse est appréciable. En revanche, je n’adhère pas aux théories de l’auteur lorsqu’il verse dans le domaine de l’ésotérisme, bien qu’il ait fait un effort important d’imagination et de démonstration. Enfin, une bibliographie en fin d’ouvrage aurait été appréciée. L’auteur répare son oubli en la publiant sur son site.
Le souterrain des Templiers ?
La théorie de Walid Nazim est en effet sujette à controverse. Elle met en relation le légendaire trésor des Templiers et ces mystérieux conduits souterrains situés sous les pentes et le plateau de la Croix-Rousse. Selon lui, ces derniers auraient-ils permis de cacher les « trésor » détenu par Guillaume de Beaujeu ? En véritable passionné du sujet Walid Nazim a multiplié également conférences et visites (en surface) dans le secteur des arêtes de poisson. Le sujet captivant a fait les titres de la presse locale. Puis des médias nationaux y ont consacré de nombreux reportages conférant un certaine notoriété à son auteur, et sortant enfin de l’ombre ces réseaux souterrains.
Lorsque les archéologues s’en mêlent enfin
Dans le cadre de travaux donnant lieu à prescription archéologique (tube mode doux sous la Croix-Rousse), le service archéologique de Lyon a poursuivi une série de recherches historiques et scientifiques sur ces réseaux. La première hypothèse fut en lien avec la présence de la citadelle royale Saint-Sébastien construite en 1564 sous Charles IX. Néanmoins quelques indices (graffitis gallo-romains notamment) permettent dans un second temps à l’archéologue Djamilla Fellague d’émettre l’hypothèse de travaux d’aménagement remontant à l’Antiquité (revue Archéologia). Des datations au carbone 14 viennent étayer cette version. Interviewée en février 2018 sur France Culture, Djamilla Fellague pose la question de l’utilité d’un tel ouvrage à l’époque gallo-romaine.
Ce vaste réseau de galeries suppose une organisation rigoureuse avec des moyens importants, que ce soit des moyens techniques, des moyens financiers, une main-d’œuvre importante, et aussi un pouvoir politique pour construire un tel édifice. Donc si on se place à l’époque antique, (…) il faut se placer du côté du gouverneur de la province ou de l’empereur. Par ailleurs, ces souterrains sont des ouvrages hors du commun, donc on peut penser qu’ils pourraient répondre à des caractéristiques exceptionnelles du site de Lyon à l’époque antique
Une construction liée au pouvoir romain ?
Djamilla Fellague rappelle que Lyon est le siège de plusieurs administrations importantes. Il s’agissait d’administrations financières et fiscales, d’un atelier monétaire impérial, d’une cohorte urbaine, ainsi que le sanctuaire fédéral, (dont l’autel fut inauguré en 12 ou en 10 av. J.-C). Pour des raisons qu’elle développe, elle souligne que toutes ces installations exceptionnelles étaient liées. L’important réseau de galerie aurait-il eu une quelconque utilité pour un de ces éléments ? Affaire à suivre.
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Le mystère dans une ville de mystères laisse échapper la poésie, vagabonder l’imagination et un voyage dans le temps, une belle balade spatio temporelle.
Si je comprends bien les galeries auraient été creusées dès le 1er siècle ap. JC (datation au carbone 14). On peut supposer qu’il s’agissait d’entrepôts. En effet, le sanctuaire fédéral réunissait une fois par an les représentants de tous les peuples gaulois pour un hommage à l’empereur. J’imagine qu’ils ne devaient pas venir les mains vides… Il faudrait chercher des traces d’ascenseurs au sommet des conduits verticaux. On sait maintenant que les Romains maitrisait la technique (au colisée notamment).
A quand une mise en valeur culturelle et touristique par la mairie de Lyon ? Idem pour les galeries et les salles souterraines de la colline de Fourvière ?
Bonjour, c’est une hypothèse. Il me semble que l’Ecole Centrale devait essayer de modéliser une infrastructure dans le puits principal (voir cette page). Ceci dit, pas très pratique et accessibles comme entrepôts, vu la hauteur et la mutliplication des puits et le dénivelé des différents tronçons. A moins bien sûr que le contenu n’en vaille la peine !
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